Vol N°1 : 13 Avril 2024
Première partie : Les Préparatifs
(Si vous souhaitez directement passer au décollage -> Partie 2)
Le souvenir de ma première leçon de vol est inscrit dans ma mémoire à l'encre indélébile. Pourtant, cela reste un souvenir confus. Sorte de pot-pourri rempli de flash visuels capturés au cours du vol, mais aussi de bruits et de vibrations, de sensations nouvelles, de paroles échangées et de pensées fugaces. En faire une description fidèle n'est pas chose facile, mais je vais tâcher de faire de mon mieux !
Comme nous l'avions vu dans le premier article, "La Naissance d'une Passion", s'il s'agit bien de mon premier vol en "place gauche" (place du commandant de bord), ce n'est en revanche pas la première fois que je vole dans un avion léger. Mon tout premier baptême remonte à ma petite enfance, je devais avoir 3 ans à peine, et je n'en garde évidemment pas le moindre souvenir. J'ai volé en tant que passager un nombre incalculable de fois depuis, et on pourrait imaginer que ce premier vol ne me ferait pas grand-chose. Pourtant, c'est tout à fait l'inverse qui s'est produit.
Nous sommes le 13 Avril, le soleil est de sortie et seuls quelques petits nuages de beau temps m'invitent à les rejoindre. La température est douce, et un vent de Nord-Ouest souffle dans l'axe de la piste, sur le terrain de Millau-Larzac. Tous les paramètres sont réunies pour un vol dans de bonnes conditions, ce que l'on appelle en aviation "CAVOK" (Ceiling And Visibility OK). Autrement dit, en langue de Molière : le plafond et la visibilité sont OK, on peut y aller !
NB : Le "plafond" fait référence à la hauteur entre le sol et la base de la couche nuageuse la plus basse.
Celui-ci doit être suffisamment haut pour nous permettre de voler en toute sécurité.
Je rencontre pour la première fois mon instructeur, Michel, ainsi qu'un autre élève qui a débuté sa formation un peu plus tôt à la fin de l'Hiver, Victor. Pour l'instant, nous volerons toujours l'un après l'autre, mais dans un second temps, l'objectif serait de nous mettre en binôme lorsque nous attaquerons la partie navigation de la formation. Comme ça, un élève pilote sur le trajet à l'aller, et l'autre sur le retour. Ça permet de réduire les frais, tout en continuant à apprendre en tant qu'observateur, en place arrière !
Une fois les présentations faites, Michel m'explique comment chaque vol va se dérouler :
- Briefing : avant de s'approcher de l'avion, nous ferons systématiquement un briefing long (une formation théorique) et un briefing court (bilan météo, carburant, objectifs du jour etc.)
- La visite pré-vol : pour préparer l'avion au vol, s'assurer que tout fonctionne correctement et que tous les morceaux de l'avion sont bien à leur place.
- Le vol, ça se passe de commentaire !
- Debriefing : on analyse le vol, ce qui était positif, ce qui était plus compliqué, et on échange sur notre ressenti, puis sur ce qui doit être amélioré. Et surtout, il ne faut pas hésiter à poser des questions ! On remplit également des papiers : carnet de route pour l'avion, carnet de vol pour le pilote, et facturier pour pouvoir ensuite payer notre heure de vol !
Pour le briefing du jour, Michel m'indique ce qu'il compte me faire endurer aujourd'hui : "Comme tu as déjà volé et que tu as fait un peu de planeur, on va déjà commencer sur du vol en ligne droite puis des virages à 10° d'inclinaison. Et si je te sens suffisamment à l'aise, on peut même pousser jusqu'à des virages de 30° et 45°, puis des montées et descentes. Ensuite, on reviendra faire deux ou trois tours de piste si t'es pas trop fatigué." Vaste programme !
Si vous n'avez aucune expérience aéronautique, on vous proposera plutôt un "vol découverte" de 30 minutes.
Vous pourrez découvrir les sensations du vol en pilotant en ligne droite, et en faisant vos premiers virages, l'instructeur s'occupera de tout le reste. La durée est volontairement raccourcie, car les premiers vols sont particulièrement éprouvants, en particulier si c'est votre toute première fois dans un avion léger !
Ensuite, Michel m'explique comment préparer le vol : où se rendre pour consulter la météo et l'information aéronautique, comment vérifier le bilan carburant de l'avion, quels sont les papiers à prendre avec nous, etc. Jusque-là, rien de bien difficile, et je prends note avec application. Puis, il passe à la théorie du vol, et là, tout se corse.
Tout enthousiaste que j'étais à débuter ma première leçon de vol, me voilà face à une équation qui me parait quelque peu "obscure" : la formule de portance. Et Michel me parle aussitôt de la relation vitesse - incidence. Quésako ?
Sur le coup, j'ai du mal à suivre, les informations s'enchaînent très vite et je ne vois vraiment pas où il veut en venir. Je suis largué. D'autant plus que j'ai toujours été nul en maths, même si ça ne m'a pas empêché d'obtenir un bac scientifique ! Je commence à me dire que je vais devoir bûcher un max si je veux rattraper le niveau pour l'examen théorique... Heureusement, j'ai déjà de bonnes connaissances aéronautiques, j'ai volé sur planeur, et j'ai un paquet d'heures de simulateurs.
J'arrive à comprendre grosso modo ce que je vais devoir faire en vol, et j'essaye de ne pas me décourager en me disant que ça viendra tout seul.
Je ne pensais pas si bien dire ! Tout va effectivement se mettre en place, et bien plus vite que je ne l'imaginais, une fois que j'aurais pris les commandes.
Ça y est, on se dirige enfin vers le hangar ! Comme c'est moi le "pilote", mon instructeur me charge de transporter la sacoche dans laquelle se trouve tous les papiers que l'avion doit obligatoirement avoir à son bord, ainsi que le précieux sésame : la clef ! Je découvre ainsi le bel aéronef qui va, à priori, m'accompagner tout au long de ma formation : le Novembre Delta. (Il est forcément beau, puisque c'est "mon" avion).
Même s'ils ont parfois un petit "surnom", on appelle généralement les avions par les deux dernières lettres de leur immatriculation. Chaque lettre correspond à un mot dans l'alphabet aéronautique, afin de faciliter la compréhension lors des échanges radio, ici F-GNND nous donne : Fox-Golf-Novembre-Novembre-Delta.
C'est un Robin DR400, l'avion école "typique" au sein des aéroclubs français. Ces avions ont vu le jour dans les années 70, et aujourd'hui, ils représentent environ 1/3 des avions de club. La structure est principalement faite de bois entoilé, avec un train tricycle et une forme d'aile qui pardonnent assez bien les petites maladresses de débutants. Cette version est équipée d'un moteur de 160 chevaux, plus puissant que la plupart des avions écoles, qui ont plutôt des 120 ou 140 cv, pour rester économiques. Même si ça va me coûter plus cher à l'heure de vol, je vous expliquerai pourquoi c'est préférable dans mon cas !
(Rénovation d'un DR400 avec structure bois apparente, cliquez sur l'image pour atteindre la source)
Je n'ai jamais volé dans un DR400, et je suis particulièrement excité à l'idée de faire ma formation sur cet avion. J'aime bien les vieilles machines, avec un tableau d'instruments à l'ancienne, des cadrans et des aiguilles dans tous les sens. Même si je ne suis pas allergique à la nouvelle technologie, bien au contraire, j'avais à cœur de faire ma formation "à l'ancienne". Reste à voir comment se comporte ce bel aéronef une fois en vol !
J'aborderai le détail de la visite pré-vol et de la préparation de l'avion au sol dans un prochain article. Pour cette fois, disons simplement qu'il y a beaucoup de choses à faire et à vérifier, le tout dans un ordre bien précis, et en vérifiant à nouveau qu'on a rien oublié à l'aide de check-list. En aviation, on ne plaisante pas avec la sécurité ! Il ne s'agit pas d'arriver, de tourner la clef, et de partir faire un tour. En cas de pépin, on ne peut pas se garer sur le bord de la route ! Même s'il y a beaucoup d'étapes, tant qu'on est au sol, on peut prendre tout son temps, poser des questions, l'ambiance est détendue et mon instructeur me met à l'aise, en me donnant de précieux conseils.
Mais nous voilà arrivés au moment du démarrage moteur : et là, tout s'accélère subitement. La pression monte d'un coup alors que je réalise la situation, je suis du côté gauche de l'avion, j'ai la manette des gaz dans la main gauche, le manche coincé entre les genoux, et à droite mon index est posé sur le bouton du démarreur : c'est moi qui vais piloter. Un circuit visuel autour de l'avion pour la sécurité : personne devant. J'appuie sur le bouton, le démarreur gémit, le moteur tremble, crache ses poumons, puis tout l'avion s'ébroue en prenant vie.
Vite, je dois baisser le régime sur 1 200 tr/min. En même temps, Michel me demande d'actionner plusieurs interrupteurs sur le tableau de bord. Je m'exécute, tant bien que mal. Bon dieu que c'est plus facile sur le simulateur ! La sensibilité de la manette des gaz me surprend, et il y a une certaine inertie du moteur avant qu'il n'affiche les tours, je galère un petit peu à trouver le bon dosage. Une check-list de plus, et nous voilà prêt au roulage, le moteur est déjà chaud, pas besoin d'attendre. Michel me dit quoi dire à la radio, je répète en bégayant un peu sous l'émotion : "Millau de Fox-Novembre-Delta, DR400 au parking sud, roulons vers le point d'attente Sierra".
Sur un DR400 le contrôle du roulage s'effectue au moyen des palonniers : deux pédales actionnées avec les pieds. Si on pousse à droite, l'avion tourne à droite, tout simplement. Pour freiner, il faut monter ses pieds vers le haut de la pédale et appuyer.
Le frein est différentiel, on peut donc choisir de ne freiner que d'un côté, pour aider l'avion à tourner. Et si on veut freiner de manière symétrique, il faut actionner les deux en même temps. Il est donc possible d'actionner le palonnier à la fois pour tourner, et pour freiner, ce qui demande un peu de finesse. Pas si évident la première fois !
Le frein de parking est relâché, je pousse doucement les gaz pour nous mettre en route, l'avion accélère vite sur ce sol en pente. Michel me dit de freiner, mais j'ai du mal à appuyer correctement sur le haut de la pédale, et nous voilà déjà au premier virage vers le taxiway (voie de circulation menant à la piste). Ça passe, malgré la vitesse trop élevée, mais c'est juste !
La sensibilité du palonnier me prend complètement au dépourvu. Je n'arrive pas à rouler droit, je fais des "S" tel un pilote ivre, tout autour de la ligne jaune que je suis pourtant censé suivre avec application ! Je subis un peu l'avion, c'est lui qui m'emmène là où il veut, plutôt que l'inverse. Mais je ne me laisse pas faire, je bataille pour le ramener dans le droit chemin. Il m'écoute, mais seulement d'une oreille ! Ça ira bien pour cette fois.
Nous voilà au point d'attente, un marquage au sol signalant l'entrée de la piste. Michel prend les commandes pour placer l'avion de biais, le "nez" tourné dans le vent qui, aujourd'hui, vient de la gauche. Je dois faire les essais moteurs. Pour le coup, mes heures sur simulateur aident bien, je reproduis les différentes actions de mémoire, rien de bien compliqué. Michel m'aide ensuite à préparer l'avion pour le décollage, on vérifie à nouveau la check-list, puis il me dit quoi dire à la radio : "Millau de F-ND, au point d'attente Sierra, pénétrons et remontons la 32".
À chaque extrémité de la piste est attribué un numéro, correspondant à son cap : son orientation en degré par rapport au Nord. Depuis le taxiway, cela donne 14 à gauche, en décollant face au Sud-Est, et 32 à droite, face au Nord-Ouest. Elle est orientée de manière à être dans l'axe des vents dominants de la région, pour limiter le vent de travers, qui est nuisible à l'aviation lorsqu'il souffle avec force. Le but étant de décoller avec le vent face à nous, afin de réduire la distance nécessaire au décollage. Aujourd'hui, le vent souffle depuis le Nord-Ouest et la manche à air pointe vers l'extrémité 32 de la piste, nous décollerons donc de ce coté !
Alors que nous remontons la piste, Michel me propose de faire du slalom entre les grandes flèches peintes sur le tarmac, pour avoir l'avion "bien dans les pieds". Même si ce n'est pas un jeu, ça reste plutôt amusant, et je suis étonné par la maniabilité au sol de l'avion. De légères pressions sur les pédales suffisent à amorcer un virage, la stabilité de l'appareil sur son train tricycle est très bonne, beaucoup moins précaire que les avions à train "classique" (avec une roulette de queue) auquel je suis plus habitué.
Enfin, nous arrivons à la "raquette", un petit bout de goudron arrondi en bout de piste qui aide à faire demi-tour. Il suffit de placer le train avant sur la ligne jaune tracée au sol et de la suivre en virage pour arriver pile dans l'axe de la piste, bien centré. Cette fois, je fais attention, je prends garde à freiner correctement après avoir coupé les gaz, et je m'aligne droit sur les tirets blancs qui marquent le centre de la piste, en prenant mon temps.
Pour ce premier vol, Michel fera le décollage, comme ça je peux observer ce qu'il fait, et suivre ses mouvements en posant mes mains et mes pieds sur les commandes, mais sans exercer de pression pour ne pas le gêner. Il me met en garde toutefois : "Attention, je te donnerai les commandes dès qu'on sera en montée !". Mon cœur bat la chamade. La pression est bien présente, mais c'est un bon stress, juste ce qu'il faut. Mon instructeur presse le bouton de la radio sur le manche : "F-ND, décollage 32". Il colle la manette des gaz contre le tableau de bord. Le moteur rugit. Ce bon vieux Robin s'élance gaiement sur la piste. Ça va bientôt être à moi !