Vol N°1 : 13 Avril 2024
Deuxième partie : Premier Envol !
(Première Partie -> ici)
Nous voilà plein gaz, la manette collée au tableau de bord. L'avion s'ébroue tandis que son moteur monte dans les tours. Toute la carlingue vibre à l'unisson, et nos corps avec elle. Telle une monture récalcitrante, le Robin fait mine de partir sur la gauche. Mais le pilote ne se laisse pas faire, il met aussitôt du pied à droite, et l'aéronef s'élance sur le bitume. Tout s'accélère, l'aiguille du compte-tour s'emballe, tandis que celle de l'anémomètre monte crescendo. Les flèches peintes sur le tarmac s'échappent sous nos roues, et déjà, le compteur affiche 110 km/h. Le pilote tire doucement le manche vers lui, mais l'avion résiste. Pendant un bref instant, il reste agrippé à cette terre qui lui a donné vie. Puis, il se résigne. La portance finit par vaincre la gravité, les roues quittent le sol, et les vibrations s'atténuent. Nous volons.
Le temps que la vitesse atteigne 130 km/h, nous restons momentanément suspendus juste au-dessus du bitume. Tandis que nous rejoignons l'atmosphère, le moteur change de mélodie. Lui, et l'hélice qu'il entraîne, résonnent désormais d'une nouvelle symphonie, plus enjouée, alors que l'aéronef entre dans son royaume : celui des airs. Tandis que notre monture augmente ses foulées, le pilote tire à nouveau sur le manche. Nous grimpons alors vers les cieux à plus de 800 pieds/minute, entraînés par la cavalcade des 160 chevaux qui hennissent sous le capot.
Habitué aux avions de puissance plus "modeste", je suis agréablement surpris par cette montée franche. La grande aiguille de l'altimètre galope telle une trotteuse de montre, tandis que l'ombre de notre avion s'éloigne à toute vitesse sur la terre en contrebas. Mais je n'ai pas le temps d'observer le paysage, voilà déjà mon instructeur qui annonce dans l'interphone : "Allez, tu le prends ? Garde bien du pied à droite, et reste en montée à 130. Commandes à gauche, à toi !"
La pression sur le manche disparaît, c'est à moi de contrôler l'animal désormais. Je n'ose pas tirer assez fort, la montée diminue, et la vitesse augmente. Je corrige aussitôt, augmentant la pression sur les commandes pour reprendre 130 km/h. "Attention à la bille !", m'avertit Michel. Un coup d'œil sur le tableau de bord, la bille part à droite. Je me souviens alors des conseils du manuel : "Le pied chasse la bille !" Il me faut donc mettre du pied à droite, j'appuie de plus en plus fort, jusqu'à ce que cette maudite bille accepte enfin de revenir dans le droit chemin.
La "bille" est un instrument simple, qui ressemble à un niveau à bulle. Il indique la direction du poids apparent de l'avion. Lorsque la bille est au milieu, le vol est symétrique. Mais plus elle s'en éloigne, plus l'avion "dérape", ce qui diminue ses performances, et peut même s'avérer dangereux. Il faut donc veiller à la garder entre les deux traits noirs en permanence, en actionnant le palonnier du côté où elle pointe : "Le pied chasse la bille !"
Pas le temps de souffler, Michel m'indique plusieurs commandes successives que je dois actionner, ce qui demande toute une gymnastique avec les bras. Voyez-vous, par défaut, je tiens la manette des gaz dans ma main gauche, et le manche dans la main droite. Pour faire ce qu'il me demande, je dois donc faire passer le manche dans ma main gauche (tout en conservant ma montée à 130 km/h !), pour appuyer sur les interrupteurs des phares, puis de la pompe à essence, et enfin rentrer les volets, en abaissant un levier qui se trouve à la droite de mon siège, et qui ressemble grosso modo à un frein à main. "Garde la main sur les gaz en montée !", me dit Michel. J'ai oublié de revenir à ma position initiale, et je me hâte de reprendre la manette des gaz dans la main gauche. "Maintenant, tu peux monter à 160, on va suivre la vallée en direction de Saint Affrique".
Je relâche un petit peu la pression sur le manche, progressivement, et laisse l'avion prendre de la vitesse. L'aiguille du "badin" s'élève alors doucement vers 160 km/h, et malgré mon casque, j'entends l'avion qui change de sonorité. Quand cela fait des années qu'on vole, même en tant que passager, on acquière une sorte de sixième sens. Le moteur, mais aussi l'hélice, les vibrations de l'appareil, le son que produit l'écoulement de l'air contre le fuselage... Tout cela nous parle. Comme de petits chuchotements à notre oreille, qui nous indiquent comment se comporte l'avion, et que nous pouvons confirmer en jetant un œil à nos instruments. C'est ce que l'on appelle dans le jardon "piloter aux fesses".
Confiant en ma nouvelle monture, je pousse le manche délicatement vers la droite, puis je tire doucement dessus. Mon Robin est alors bien plus docile qu'à terre, il accepte de m'écouter, et amorce un léger virage vers la droite, m'emportant au-dessus de la vallée du Cernon.
L'anémomètre, ou "badin" (du nom de son inventeur), indique la vitesse de déplacement de l'avion dans l'air. Cette vitesse peut être différente de la vitesse "sol" en fonction de la force et de la direction du vent, ou de l'altitude. Un code couleur aide le pilote :
- Arc blanc : plage d'utilisation volets sortis.
- Arc vert : plage d'utilisation normale.
- Arc jaune : plage d'utilisation en air calme (non turbulent).
- Trait rouge : vitesse à ne jamais dépasser (VNE).
Nous poursuivons la montée tandis que l'altimètre s'approche de 4 000 pieds. Michel me met alors en garde : "On arrive bientôt à 4 000, pour stopper la montée, tu vas reprendre une assiette nulle". Je pousse sur le manche pour placer la ligne d'horizon juste au-dessus de mon capot moteur. Michel m'a fait tracer un repère au marqueur sur le pare-brise, avant le décollage, pour m'aider à visualiser la chose :
- Si le repère est aligné avec l'horizon, on a une assiette "nulle", pour voler horizontalement, ce qu'on appelle du vol "en palier".
- Si le repère est au-dessus de l'horizon, on a une assiette en montée, pour gagner de l'altitude. Comme dans une voiture, il faut alors augmenter la puissance.
- Si le repère est au-dessous de l'horizon, on a une assiette à piquer, pour perdre de l'altitude. Il peut alors être nécessaire de réduire les gaz, pour éviter de passer en survitesse ou en surrégime moteur.
Mais, étrangement, ce repère pare brise me perturbe, je préfère l'ignorer, et me fier à mon "instinct" en jaugeant mon assiette à l'aide du capot de l'avion. D'autant plus qu'il faudra bien apprendre à faire sans par la suite !
Alors que nous prenons un vol horizontal, l'avion commence à gagner de la vitesse, et il tend naturellement à prendre de l'altitude, si on ne fait rien pour l'en empêcher. Michel insiste : "Pousse bien sur le manche, empêche le de monter, on a déjà pris 100 pieds de trop !" Je m'efforce de suivre ses conseils, mais je suis surpris de voir à quel point l'avion à envie de continuer à monter tout seul. "Réduit un peu les gaz maintenant". Je tire doucement sur la manette des gaz, tout en luttant pour empêcher l'avion de grimper. Et subitement, tout se met en place dans ma tête.
Je me souviens de cette formule de la portance qui m'avait semblé bien effrayante lors du briefing. Mon instructeur me parlait alors de la relation vitesse - incidence, et je ne comprenais pas grand-chose. Mais maintenant que je l'ai expérimenté en vol, tout est plus clair ! Pour essayer de simplifier : l'incidence correspond grosso modo à l'angle que forme l'aile, par rapport au flux d'air (le vent relatif). Essayez donc de mettre votre main à plat par la fenêtre de votre voiture en conduisant et de l'incliner, vous comprendrez immédiatement où je veux en venir ! Plus on augmente l'incidence, plus la portance générée par l'aile est forte -> l'avion "monte". Inversement, en diminuant l'incidence, l'avion "descend". Jusque-là, c'est assez logique.
En montée, la force de traction du moteur doit lutter contre la gravité, on va donc moins vite. Mais lorsque l'on reprend un vol horizontal, ce n'est plus le cas. Ainsi, l'avion accélère, sa vitesse augmente et avec elle, la portance. (Rappelez-vous : la formule de portance prend en compte le carré de la vitesse !) L'avion a donc naturellement "envie" de monter, et pour l'en empêcher il faut diminuer l'incidence, en poussant sur le manche jusqu'à ce que la vitesse soit stabilisée.
Enfin, on doit aussi réduire les gaz. Puisque le moteur "force" moins en vol horizontal, et qu'on prend de la vitesse, l'hélice se met à tourner plus vite et il faut prendre garde à ne pas passer en surrégime. Beaucoup de choses à penser et à faire en quelques secondes me direz vous ? Eh oui, ce n'est vraiment pas évident au début ! On a donc tendance à faire du vol de "marsouins", en oscillant de bas en haut autour de l'altitude qu'on est censé suivre. Mais pas d'inquiétude, à force de pratique, ça viendra tout seul !
Ensuite, Michel me demande de faire des petits virages, à gauche, puis à droite, tout doucement. J'ai déjà volé donc ça me parait assez naturel, tout se passe bien. Il me demande alors de faire des virages avec une inclinaison de plus en plus forte, jusqu'à ce qu'on se retrouve à 45° d'inclinaison ! Et là, ça devient coton pour le débutant que je suis ! Je vous explique :
Avant d'amorcer un virage, il faut déjà assurer la sécurité autour de l'appareil : comme en voiture, on regarde partout, et notamment le coin de ciel à l'intérieur de notre virage. Puis on incline l'avion dans le sens du virage, en mettant doucement le manche du côté où on souhaite tourner. Enfin, il faut tirer le manche vers soi, pour éviter de perdre de l'altitude, et pointer le nez de l'avion dans la direction où l'on souhaite aller. Plus on incline l'appareil sur le coté, plus il faut compenser en tirant fortement sur le manche ! À 45° d'inclinaison, on effectue alors un virage serré, et ça fait tout drôle : une aile est pointée vers le sol en contrebas, l'autre vers le ciel ! Il faut alors tirer vraiment fort sur le manche pour empêcher l'avion de perdre de l'altitude, et on pèse près de deux fois son poids !
J'ai un peu de mal avec ces virages plus serrés, je n'ose pas tirer suffisamment, mais mon instructeur me rassure, c'est déjà bien pour un premier vol. Il me demande alors de repartir en direction du terrain, et cette-fois il me demande de mettre l'avion en montée. Je dois donc afficher l'assiette de montée en tirant sur le manche, l'horizon disparaît sous le capot, et ensuite je mets plein gaz. "La main sur les gaz en montée !". Zut, j'ai encore oublié qu'il fallait toujours garder la manette en main, pour être 100% sûr de rester à pleine puissance.
Puis, Michel me demande d'effectuer une descente. Je dois alors afficher une assiette à piquer, l'horizon passe au-dessus du capot moteur et le nez de l'avion pointe légèrement vers le sol en contrebas. Comme l'avion accélère tout seul, sous l'effet de la gravité, je dois réduire la puissance. Autrement, le moteur risque de tourner trop vite. Je dois aussi tirer une petite manette située sur le milieu du tableau de bord : "la réchauffe", ou plutôt le réchauffage carburateur. Pour faire simple : lorsque nous réduisons fortement les gaz, il y a un risque de givrage au niveau du carburateur. C'est un élément du moteur qui régule l'admission en air et en essence, donc s'il gèle, le moteur peut perdre de la puissance ou pire, s'arrêter ! Et en plus, il ne faut pas systématiquement l'utiliser : ça dépend de la température extérieure et de l'humidité... Un vrai casse-tête ! Mais là encore je ne m'affole pas : ça viendra tout seul avec la pratique.
Enfin, nous voilà revenus à proximité du terrain, et Michel m'indique la direction à prendre pour rejoindre le circuit de piste et nous poser. Je sue à grosse goutte tellement je suis concentré. Ce premier vol monopolise 200% de mes capacités et j'ai l'impression d'être un observateur de ma propre vie. Comme un passager, en place arrière, qui observe ce pilote en herbe galérer à maîtriser une machine qui n'en fait qu'à sa tête. Mon instructeur me demande si ça va toujours, et sur le coup, je ne réponds pas de suite. Je suis trop concentré sur mes paramètres de vol. Enfin, je bégaye : "Heu... Oui, niquel ! Pardon, je regardait mes instruments !"
Il m'indique alors comment faire mon approche autour du terrain pour emmener l'avion vers la piste, il me guide à chaque virage, m'indique quels interrupteurs actionner, quelle vitesse prendre, et je m'exécute, dévorant ses conseils avec avidité. Sans que je ne m'en rende compte, nous voilà déjà en finale, à quelques mètres de la piste.
Mais Michel ne tient toujours pas le manche, il me guide, prêt à reprendre les commandes à chaque instant. Arrive le moment de l'arrondi, cette manœuvre délicate, visant à amener doucement le train principal de l'avion au contact avec le sol. Il me dit de tirer sur le manche, encore, de le tenir en l'air, encore un peu plus, le plus longtemps possible. Le temps est comme suspendu. Le Robin à le nez en l'air, à un mètre du bitume, mais il refuse le contact, nous sommes un peu trop haut. Michel applique une petite correction sur le manche, et bam ! Nous touchons. Un peu fort, mais le DR400 l'encaisse sans broncher, il n'est pas rancunier. Michel n'a quasiment rien touché, il m'a guidé jusqu'au dernier instant, et je n'en reviens pas. J'ai posé mon avion pour la première fois, sans le casser. Mais pas le temps de me réjouir, voilà mon instructeur qui enchaîne : "Allez plein gaz, on repart !". Michel n'en a toujours pas terminé avec moi.
Au final, nous faisons deux autres tours de piste avant de rentrer au bercail. Mes approches sont un peu douteuses, mes paramètres de vol ne connaissant pas encore la notion de "précision", et mes posés ont la "douceur" d'un appontage, mais en stoppant l'avion au parking, je suis sur un petit nuage. Impossible de redescendre, mon corps est sur le plancher des vaches, mais mon esprit galope toujours dans les cieux. Même si je ne laisse rien paraître devant mon instructeur, je suis remonté à bloc, survolté. Il m'aide pour remplir mon carnet de vol, et même si ce n'est rien, je suis tout fier de griffonner enfin cette première ligne. Nous avons volé plus d'une heure, mais pour moi, c'est passé en une fraction de seconde. J'ai l'impression qu'on vient à peine de partir !
Il ne me tarde plus qu'une chose, recommencer.