Suite à la belle progression lors de mon précédent vol, je suis très impatient de recommencer les tours de pistes, et surtout d’améliorer mes arrondis ! Alors, quand mon instructeur me propose de voler à peine quelques jours plus tard, je saute sur l’occasion, et compte les quelques jours qui me séparent de mon prochain vol tel un gamin à l’approche des fêtes de Noël ! J’étais encore loin de me douter que ce vol allait devenir le plus difficile de tous ceux que j’ai pu effectuer jusqu’à présent.
Au programme du jour : encore des tours de piste ! Et cette fois, on va se concentrer particulièrement sur l'arrondi : ma bête noire. Mais, l'arrondi, c'est quoi au juste ? Et pourquoi c'est si compliqué au début ?
Voyez-vous, pour un pilote débutant, le décollage est une manœuvre relativement facile à comprendre. Même s'il ne faut surtout pas le sous-estimer ! Ça reste une phase dangereuse du vol, qui peut s'avérer délicate dans certaines configurations (on y reviendra dans un prochain article). Ceci dit, c'est bien beau de savoir décoller, mais comme on dit : "Tout ce qui monte finit toujours par redescendre !" Et il faut bien admettre que l'atterrissage demande beaucoup plus de pratique pour être réalisé de manière satisfaisante.
Un bel atterrissage, ça commence d'abord par une belle approche ! Si on respecte bien les étapes abordées dans l'article précédent sur les tours de pistes, et qu'on se retrouve en finale aligné face à la piste, à la bonne altitude, et à la bonne vitesse... On a déjà effectué le plus gros du travail ! Il ne nous reste plus qu'à conserver ces paramètres le plus stables possibles, en se répétant en boucle : l'axe, le plan (de descente), la vitesse, jusqu'à ce qu'on soit juste au dessus du sol. Cela demande un circuit visuel permanent, entre la piste (pour juger de l'alignement et du plan de descente), et les instruments (le badin pour la vitesse, et le variomètre pour le taux de chute). Mais si l'on trouve de nombreux articles et ouvrages détaillés sur la théorie de l'approche, puis de la finale avant l'atterrissage, c'est beaucoup plus difficile de décrire la technique de l'arrondi, avec des mots.
(Que ce soit un A320, ou un DR400, le principe de l'arrondi reste sensiblement le même !)
L'arrondi, c'est cette étape critique, juste avant de poser les roues, où on "arrondit" notre plan de descente, pour réduire notre vitesse verticale, et venir prendre contact avec le sol le plus doucement possible. C'est une manœuvre qui demande beaucoup de jugement de la part du pilote, afin de s'adapter aux conditions du jour, car il faut bien avouer qu'aucun atterrissage ne se ressemble ! Le souci, c'est que justement, en tant qu'élève pilote, on n'a pas encore suffisamment d'expérience, et aucune référence concrète pour bien comprendre les gestes nécessaires à un bel arrondi. De plus, c'est un moment où les émotions peuvent facilement prendre le dessus : la proximité avec le sol, le rapprochement rapide avec le plancher des vaches, c'est intimidant !
Le principe reste le même quel que soit le type d'avion, mais la technique peut varier, en particulier entre les avions à train tricycle (avec une roulette de nez) et les avions à train classique (avec une roulette de queue). Par exemple, sur le Robin DR400 que je pilote, c'est le train principal, situé sous les ailes, qui doit toucher le sol en premier. Ce dernier est robuste, avec une suspension conçue pour encaisser un taux de chute jusqu'à 600 pieds/minute, qui pardonne bien les erreurs de débutant. Cela dit, à cette vitesse, non seulement vous ressortirez de l'avion avec les vertèbres tassées, mais en plus, vous aurez probablement perdu un brin d'audition, suite au flot de jurons craché par votre instructeur !
(Sur un avion à train classique (ici un CAP 10), l'idéal est de poser le train principal et la roulette de queue en même temps, ce qu'on appelle un touché "3 points" !)
Pour toucher le sol en douceur, il nous faut donc commencer par réduire notre plan de descente, qui en finale est généralement autour de 5%. Une fois arrivé au-dessus du bitume, on réduit complètement les gaz, et on tire progressivement, mais fermement, sur le manche pour survoler la piste, avec une assiette proche de l'horizontale. Puis on continue à tirer sur le manche, avec une assiette de plus en plus cabrée, comme si on cherchait à retenir l'avion, à l'empêcher de se poser. Avec le bon dosage, on peut réussir à réduire au maximum la vitesse horizontale et verticale, et à "embrasser" le sol avec délicatesse : c'est ce qu'on appelle un "kiss landing".
(Voilà un bel atterrissage de DR400 sur l'aérodrome de Lognes)
Première difficulté : savoir quand débuter l'arrondi.
- Si on commence l'arrondi trop tôt (l'erreur classique du débutant), on va se retrouver avec trop de hauteur par rapport au sol. L'avion va ralentir, la portance va chuter brusquement, et on risque de décrocher. Au ras du sol, ce n'est pas un problème. Mais en ayant arrondi trop tôt, on va chuter de quelques mètres d'un coup, et taper fort ! C'est récupérable en réagissant immédiatement sur la manette des gaz, pour redonner de la puissance et freiner la chute. Autrement, si on est vraiment trop haut, une remise des gaz s'impose !
- Si on commence la manœuvre trop tard, on sera trop proche du sol pour avoir le temps de faire un bel arrondi. On risque de toucher le sol avec une assiette pas assez cabrée, sur le train avant, et avec une vitesse trop importante. Non seulement le train avant n'est pas fait pour encaisser les chocs, mais avec trop de vitesse, on risque de rebondir ! Là aussi, c'est récupérable, avec des gestes vifs et précis sur les commandes, mais si on ne le sent pas, encore une fois, mieux vaut remettre les gaz !
Deuxième difficulté : l'effet de sol. Lorsque l'avion survole la piste à quelques mètres seulement, la proximité du sol a pour effet de réduire la traînée, ce qui augmente la portance. Ainsi, plus on se rapproche du bitume, plus l'aile de l'avion est porteuse ! Si bien que si on arrive avec une vitesse trop élevée, ce regain de portance peut nous faire planer au ras du sol pendant de très longues secondes, comme si on était posé sur un coussin d'air. Ça peut considérablement augmenter notre distance d'atterrissage ! De plus, l'élève pilote à tendance à rapidement perdre ses moyens dans ce type de situation, et à vouloir pousser sur le manche pour forcer l'avion à atterrir à tout prix. Ce qui se termine bien souvent par un atterrissage sur le train avant, avec des rebonds à répétition, et avec un réel danger de casse ! Enfin, si au contraire, on tente de tirer sur le manche, alors dans ce cas l'avion va redécoller, emporté par son excédent de vitesse.
Il est donc crucial de bien maîtriser sa vitesse avant l'arrondi. Si on arrive trop vite, il vaut mieux survoler la piste (sans la toucher !), et attendre que l'avion ralentisse suffisamment avant de chercher le contact avec le sol. Plus simple à dire qu'à faire !
(Quelques exemples de rebonds et d'atterrissages durs, à ne pas reproduire à la maison !)
Ainsi, l'arrondi demande un dosage fin sur les commandes, basé sur une perception précise de l'environnement par le pilote, qui doit systématiquement s'adapter à des conditions atmosphériques qui peuvent changer à chaque instant. Seule la pratique, et les conseils avisés de l'instructeur, permettent d'acquérir l'expérience et le ressenti nécessaire à la bonne exécution de cette manœuvre toute en délicatesse. Voilà pourquoi l'arrondi est si difficile au départ ! Et il peut se passer de nombreuses séances d'entrainements, parfois décourageantes, avant que le "déclic" ne se fasse dans la tête de l'élève pilote. C'est ce que je vais réaliser aujourd'hui.
Cette fois Michel me laisse faire ma visite prévol seul, pendant qu’il termine de remplir la paperasse avec l'élève qui me précède. Si j’apprécie ce brin de liberté, je ressens aussi le poids écrasant des responsabilités alors que je me dirige vers l’avion. Raison de plus pour effectuer la prévol avec encore plus d'applications !
Derrière mon fidèle Robin, j’aperçois le président du Club qui est en train de donner à boire à sa monture, un vénérable Broussard, avion d’observation et de liaison avec moteur en étoile, qui servait autrefois dans l’Armée de l’Air et l’ALAT. Je le salue et me présente rapidement, n’ayant pas encore eu l’occasion de le rencontrer. Cela me permet de recevoir un mot de bienvenue chaleureux, et surtout d’éviter tout malentendu : un inconnu qui monte dans l’avion du club sans instructeur, ça peut faire désordre !
(Les phares de roulage et d'atterrissage, check !)
Je crois que je n’ai jamais fait ma visite prévol avec autant d’application : je passe chaque coin et recoin de mon appareil au peigne fin, vérifie le bon fonctionnement des phares et de l'avertisseur de décrochage, je compte toutes les goupilles qui maintiennent les gouvernes en place, et ne manque pas de flatter l’encolure de mon destrier à de multiples reprises pour m’assurer sa docilité. Alors que je m’installe seul dans la cabine, je ne peux m’empêcher de songer aux futurs vols solo que je serai amenés à effectuer au cours de ma formation.
C’est un sentiment étrange de monter seul à bord de l’avion. Curieux mélange entre cette excitation, tout juste réprimée, à l'idée de voler de mes propres ailes, et cette chape de plomb qui s’abat sur mes épaules, sous le poids des responsabilités. Mais heureusement, ce n’est pas pour tout de suite ! Il me reste encore bien des choses à apprendre et des gestes à perfectionner avant d'envisager de voler seul.
Enfin, Michel me rejoint dans le cockpit et je lui montre les 3 flammes que j’ai retirées sur les prises statiques et la sonde Pitot de l’appareil. Elles servent à protéger les prises d'air qui permettent aux instruments de l'avion d'indiquer sa vitesse par rapport à l'air, sa vitesse verticale, ainsi que son altitude. Pourquoi les boucher au sol ? Tout simplement pour éviter que des insectes viennent y faire leur nid et nuire au fonctionnement de nos instruments ! Il faut donc systématiquement penser à les retirer juste avant le vol, d'où la présence de "flammes" en tissu de couleur vive pour ne surtout pas les oublier.
(Le principe de la visite prévol, y compris les flammes de couleurs vives à retirer avant le vol, sont les mêmes pour un Robin que pour ce chasseur F-4 Phantom II !)
La préparation de l’avion et le roulage se passe bien, j’effectue mes tâches de mémoire sans trop d’hésitation, vérifie mes check-lists avec application, et lorsque j’ai le moindre doute, je n’hésite pas à demander à mon instructeur si tout est bon, avant de passer à l’étape suivante. Aujourd’hui nous reprenons des circuits “main gauche” sur la piste 32, face au Nord-Ouest. Le vent est léger, avec une légère composante de travers, rien de bien méchant. En revanche, il fait chaud, et le vol ne va pas être de tout repos !
Le décollage en autonomie se déroule bien, même si je tarde à mettre du pied à droite après la rotation, pour conserver une bonne symétrie de vol, ce que mon instructeur ne manque pas de me rappeler immédiatement (et à juste titre) ! J'évite de survoler le village en virant légèrement sur la gauche, puis je rejoins le circuit, comme les fois précédentes. Mon approche est plutôt bonne, mais je suis gêné par des "pompes" (des ascendances thermiques), sortes de colonnes d'air chaud où l'air s'élève rapidement. Non seulement, on est secoué à chaque fois qu'on les traverse, mais en plus, elles ont tendance à me faire gagner plusieurs centaines de pieds d'altitude, involontairement ! L'une d'elles est placée pile à l'endroit où j'entame mon avant-dernier virage, celui où j'entre dans "l'étape de base", la phase de rapprochement vers le terrain, juste avant la finale.
Je suis censé débuter ma descente à ce moment-là, mais cette fichue pompe me pousse vers les cieux ! Je manque de réactivité, et plutôt que d'accentuer ma descente pour compenser, j'effectue les mêmes gestes que d'habitude. Du coup, lorsque j'amorce mon dernier virage, et que je me retrouve en finale, face à la piste, je suis trop haut ! Je n'ai plus d'autres choix que de complètement réduire les gaz, et d'essayer de rattraper mon plan de descente, aussi bien que possible. Seulement, l'air est un peu turbulent au-dessus de la colline qui précède le seuil de piste, et le débutant que je suis a déjà du mal à garder l'avion stable, à chaque fois qu'une petite turbulence vient nous chatouiller les ailes ! En clair, les conditions ne sont pas réunies pour un atterrissage particulièrement doux, mais j'essaye quand même. "Bam !" J'ai arrondi trop tard. Heureusement, ma vitesse était suffisamment réduite, donc je n'ai pas rebondi, mais j'étais pas loin de poser le train avant en même temps que le principal. Ça aurait été pas mal sur le pont du Charles de Gaulle, mais pour un DR 400... C'est pas terrible ! Au moins, rien de cassé, alors c'est reparti pour un tour.
Je me représente en finale, et rebelote, je suis trop haut. La pompe n'a pas bougé, elle m'a encore fait gagner plusieurs centaines de pieds pendant mon approche, et je n'ai pas su corriger le tir. Obligé de rattraper mon plan en urgence, une fois de plus, ce qui me complique la tâche. Cette fois, j'arrondis trop tôt, je me retrouve à survoler la piste, à plusieurs mètres du sol, avec ma vitesse qui dégringole. Pour bien arranger les choses, une petite rafale de vent à l'esprit espiègle vient me soulever l'aile droite. Je corrige aussitôt en poussant le manche vers la droite, pour ne pas me laisser faire, mais cette distraction ne m'aide pas à corriger mon arrondi raté, et je commence à être sérieusement de travers sur la piste ! Je tarde à remettre des gaz pour freiner ma descente, et Michel est obligé de reprendre les commandes. Il effectue une remise des gaz et nous fait redécoller au ras du sol : dans le doute, quand ça se présente mal, mieux vaut recommencer depuis le début !
Je me représente ainsi pour quatre autres tentatives, et à chaque fois, je suis trop haut ! Je rate systématiquement mes arrondis. Tantôt, je me pose trop dur, tantôt, je fais un rebond. J'arrondis soit trop haut, soit trop bas, et je ne trouve jamais le bon dosage ! Mais pour autant, je ne me décourage pas. Je persiste et signe, essayant tant bien que mal de dompter ce curieux animal. Au dernier posé, alors que mon train gauche touche fortement le bitume, puis le droit dans un second temps (avec tout autant de finesse), mon instructeur me gratifie de quelques judicieuses onomatopées : "Bam - Bam !"
-"Bon aller, aujourd'hui c'est pas ton jour. C'est pas grave, tu feras mieux la prochaine fois !"
Je ressors de ce vol un chouilla déçu (on ne va pas se mentir),et le perfectionniste que je suis passe la soirée à analyser les souvenirs de ce vol, pour tenter de comprendre ce qui n'allait pas. Mais au final, à force de ruminer, j'arrive à voir le positif : au moins, maintenant je suis au point sur ma vent arrière, je prépare l'avion comme il faut, j'arrive beaucoup mieux à stopper ma montée et à maintenir mon altitude pendant le tour de piste. Reste à bien gérer la descente pendant l'étape de base, et surtout, à ne pas me laisser faire par quelques courants d'airs !
Puis, me revient cette phrase de mon grand-père : "Tu verras, apprendre à piloter y'a des jours où ça marche super, et d'autres où t'as l'impression que tu sais plus rien faire. Mais persistes, et tu verras qu'après ça va tout seul !" De cette déception initiale, finit par se substituer une détermination à l'ardeur renouvelée. Ce ne sera pas facile, mais je finirais pas vaincre ma bête noire. Ce n'est qu'une question de temps, de pratique, et de persévérance. Apprendre à piloter, c'est savoir être patient, mais aussi, apprécier le goût du challenge !