Vol N°3 : 05 Mai 2024
Voilà près de quinze jours que le temps est pourri. De lourds nuages grisonnants tentent de s’agripper au relief, cherchant en vain à résister à la force de ce vent qui jamais ne faiblit, et qui les pousse à vive allure dans un ciel tourmenté. La fine pluie d’avril vient se rajouter par intermittences, accompagnée de violentes rafales de vent à décorner les bœufs. Les gouttes martèlent mes vitres inlassablement, me rappelant sans cesse que l’aviation légère est tributaire de la météo. Patience pilote en herbe, ton heure viendra.
Je profite donc de ce repos forcé pour appliquer la devise de Michel, mon instructeur : “Un pilote au sol est un pilote qui s’instruit !” Tout en poursuivant l'étude des procédures propres à mon avion, et du manuel théorique du pilote, je commence à étudier la navigation. Michel veut que l’on comprenne la théorie, pour avoir déjà de bonnes bases lorsqu'on débutera le vol en campagne, dans quelques mois !
Puis, voilà le mois de mai qui arrive enfin. Les rafales de vent s’effacent, pour laisser place à un soleil de printemps, qui pointe timidement le bout de son nez derrière des nuages de plus en plus clairsemés, encore trempés de pluie. Je reçois un message de mon instructeur qui m’annonce le programme du lendemain : 10h30, briefing long sur le bilan carburant avec mon binôme, et 10h45 : TDP. Autrement dit : Tours De Piste !
On reparlera du briefing sur le bilan carburant plus tard, lorsqu’on abordera plus sérieusement la navigation, mais aujourd’hui, parlons plutôt du vol !
Cette fois, on rentre dans le vif du sujet. Michel estime que j’ai une maîtrise satisfaisante de l’avion en vol, et qu’il me faut maintenant bosser à fond ces étapes cruciales que sont le décollage, l’approche et l'atterrissage. Pour y remédier, rien ne vaut des tours de piste, encore et encore, jusqu’à l’écœurement si nécessaire. Il faut que les procédures rentrent, que toutes les étapes deviennent réflexes, qu’elles soient appliquées par automatisme, dans un ordre bien précis. Mais il faut toujours prendre garde à rester conscient de l’utilité de chaque geste, pour justement éviter de tomber dans une routine mécanique qui peut s’avérer dangereuse. Penser à sortir un cran de volet pour se poser, c'est bien, mais le faire à la bonne vitesse, c’est mieux ! C’est une des leçons que je vais apprendre aujourd’hui.
Cette fois je suis plus à l’aise lors de la visite prévol, j'hésite moins en faisant le tour de l'avion pour m'assurer que tout est bien à sa place : nous avons bien deux ailes, un empennage avec des gouvernes qui fonctionnent, les pneus sont bien gonflés, et les boulons ont tous l'air d'être en place ! De même, pour la préparation de l'avion avant la mise en route du moteur, je me sens un peu plus à l'aise. J’hésite encore, bien sûr, mais mon travail ces derniers jours porte ses fruits : je commence à comprendre la logique des choses, et lorsque je vérifie ma check-list avant la mise en route, je n’ai pratiquement rien oublié… Si ce n’est de vérifier que les commandes sont libres ! Je m’empresse aussitôt de “remuer la mayonnaise” avec le manche, et d’agiter la dérive avec mes pieds sur le palonnier : commandes libres !
Ensuite, au roulage, je me sens bien plus à l'aise que la dernière fois, même si on est encore très loin de la perfection. Je dose mieux mon palonnier et mes freins : pas de sortie de piste aujourd’hui ! Du coup, la charge de travail augmente. Michel m’explique que je dois profiter du roulage pour vérifier le bon fonctionnement des instruments gyroscopiques. Premier virage à droite sur le taxiway : je dois vérifier que la bille parte à gauche, que la maquette de l'indicateur de virage parte bien à droite, que les caps augmentent, une fois (sur le compas), deux fois (sur le conservateur de cap), et je vérifie que mon horizon artificiel reste stable. Il me faut aussi tester le bon fonctionnement des freins, puis refaire une vérification des instruments avec un virage à gauche, tout en assurant la sécurité extérieure et en gérant la radio… Quand on débute, ça fait beaucoup ! Et ce n'est pas évident de bien rouler sur la ligne du taxiway, tout en jetant un œil à tous ces cadrans ! Heureusement, l’activité à Millau est calme, ce qui me permet de me concentrer sur ces actions sans être perturbé par la radio, ou d'autres avions en mouvement.
Aujourd'hui, le vent souffle secteur Sud, plutôt léger pour l’instant, mais conformément aux prévisions, ce dernier va progressivement gagner en intensité, avec une petite composante de travers. Nous ferons donc cette fois des circuits “main-droite” en piste 14, face au Sud-Est, à l’opposé de ce que j’ai pu faire jusqu’à présent. Heureusement, voilà des années que je vole sur ce terrain en place droite, et je ne suis pas trop dérangé par ce changement. En plus, je ne saurais dire pourquoi, mais j'ai toujours aimé me poser face au Sud !
Une fois les essais moteurs effectués avec le nez de l’avion légèrement tourné vers le vent, au point d’attente (juste avant la piste), je prépare ma monture au décollage. Là encore, je dois m’efforcer de tout effectuer de mémoire, et je vérifie ensuite si je n’ai rien oublié avec la check-list. Rebelote : je n'ai pas vérifié si les commandes sont libres ! Pourquoi le faire à nouveau, me direz vous ? Tout d'abord, car il est tout à fait possible que pendant le roulage, un objet mal attaché ait pu aller se promener dans l'axe des commandes de vol et les bloquer. Et surtout, mieux vaut toujours deux fois qu’une !
Michel m’indique ensuite quoi dire à la radio :
- “Millau de Fox Novembre Delta, au point d’attente Sierra, pénétrons et remontons la 14”.
Aujourd’hui, je vais devoir m’occuper de la communication radio en autonomie. Évidemment, en tant que jeune élève, je bafouille encore pas mal. Il faut dire que je suis victime, comme tant d’autres avant moi, de cette mystérieuse disparition fulgurante de mes capacités mentales à chaque pression du commutateur de radio. Au moment de parler sur la fréquence, lorsque je presse ce petit bouton à l'extrémité du manche, c’est un peu comme si ma matière grise se faisait la malle. Elle s'évapore subitement, sans doute trop comprimée par ce casque audio posé sur mon crâne, ou plutôt, par la peur de dire une bêtise sur les ondes !
Heureusement, mon expérience en tant que passager m’aide bien : j’ai déjà une bonne connaissance de la phraséologie à employer. De plus, l’aérodrome de Millau-Larzac n’étant pas contrôlé, la sécurité est assurée par les pilotes eux même : c’est ce que l’on appelle “l'auto information”. Il est donc crucial d’assurer une bonne communication de nos intentions et de notre position dans l’espace, que ce soit au sol ou dans les airs, afin que chaque pilote sur la fréquence puisse se créer une image mentale de l’activité en cours autour de l’aérodrome.
Une fois la piste remontée et mon fidèle Robin aligné et préparé en 14, face au vent, j’annonce donc sur la fréquence :
-“Millau de Fox Novembre Delta, décollage 14, puis virage à droite pour des tours de pistes”. Je pousse progressivement à fond la manette des gaz et jette un œil à mon compte-tour. Alors que mon aiguille approche les 2400 tours, j’annonce à voix haute : “la puissance est disponible”. Je contre l’embardée à gauche de mon avion avec du pied à droite, en tâchant de m’aligner du mieux possible avec l’axe de piste. Du coin de l’oeil, je vois l’aiguille de l’anémomètre qui s’agite et s’élève de plus en plus vite : “Badin actif”. Rapidement, les 100 km/h arrivent, puis voilà les 110 : “Rotation”.
Je tire (trop) doucement sur le manche, mais ma monture récalcitrante refuse de s’élever. J’insiste donc avec plus de force, et cette fois elle s’arrache du bitume avec un peu plus d’enthousiasme que ce que j’espérais ! “Doucement”, me dit Michel, “N’oublie pas de faire un palier”. Je relâche donc la pression et laisse mon destrier survoler la piste à quelques mètres du sol, avant d’allonger ses foulées jusqu’ à 130 km/h. Cette fois, je peux tirer sur le manche plus fermement, et continuer ma montée initiale droit vers les nuages (ou presque).
Il faut savoir que le terrain de Millau-Larzac, sans être particulièrement difficile, n’en reste pas moins atypique. Il est situé à 2600 pieds d’altitude, soit 792 mètres. Comme nous l’avions vu précédemment, cette altitude plus élevé qu'en plaine, dégrade les performances de vol de l'avion. Mais surtout, l'aérodrome est flanqué de plusieurs collines, dont deux se trouvent pile dans l’axe de piste. En décollant face au Sud, comme aujourd’hui, le relief s’élève devant moi à près de 2773 pieds. Ainsi, le terrain "monte" en même temps que je m’élève dans le ciel, et je ne vous cache pas que la présence des 160 chevaux sous le capot est un “plus”, tout à fait appréciable, pour passer à distance respectable des arbres, et poursuivre vers le circuit de piste, sans déranger les écureuils !
Mais, dis donc Jamy, un circuit ou "tour" de piste, c'est quoi au juste ?
Pour apprendre à décoller et atterrir dans un avion, rien ne vaut la pratique ! Ainsi, on enchaîne des "tours" autour de la piste, on se pose, puis on redécolle immédiatement, et on recommence jusqu'à ce que ça rentre. Seulement, on ne fait pas ça n'importe comment ! Par défaut, on effectue un tour de piste rectangulaire, avec des étapes précises, effectuées à une altitude donnée et dans un sens qui est bien souvent imposé par la réglementation. On parle de tour de piste "main gauche", si les virages se font vers la gauche, et "main droite", lorsqu'ils sont effectués par la droite. Il existe plusieurs variantes de TDP, mais celui-ci permet d'augmenter la sécurité, en nous aidant à mieux repérer les autres aéronefs dans le circuit.
Le tour de piste est découpé en plusieurs étapes :
- Montée initiale : Juste après avoir quitté le sol, effectuée dans l’axe de la piste, et face au vent (en théorie !)
- Vent traversier : Étape de montée située après le premier virage, pour se retrouver avec une trajectoire d'éloignement perpendiculaire à la piste (et donc au vent : d’où le nom de « vent traversier »).
- Vent arrière : Suite au second virage, on se retrouve parallèle à la piste, avec le vent dans le "dos", d'où le nom de "vent arrière". C'est communément l'étape où on intègre le circuit si on était déjà en vol, même si d'autres intégrations sont possibles. L'altitude de la vent arrière est réglementée, là aussi pour plus de sécurité. Bien souvent, elle est située à 1000 pieds au dessus de l'altitude du terrain, mais à Millau, puisqu'il y a du relief dans l'axe de la piste, l'altitude de la vent arrière est réhaussée à 3 800 pieds, pour garder plus de hauteur au dessus des collines !
- Étape de Base (ou Base) : Après un troisième virage, on se replace perpendiculaire à l'axe de piste, en rapprochement cette fois. C'est aussi là qu'on amorce la descente !
- Finale : Après un quatrième et Dernier Virage (qui est aussi une étape cruciale), on poursuit la descente vers le sol en cherchant à aligner 3 paramètres : bonne vitesse d'approche, bon plan de descente, et alignement parfait avec l'axe de piste.
Rapidement, en sa qualité d’instructeur, au fur et à mesure que nous enchaînons les tours de piste, Michel me montre les petites astuces qui peuvent sauver en cas de pépin. Il me désigne les champs adaptés pour se poser d’urgence, si le moteur venait à stopper brusquement au décollage. Il me montre aussi un creux dans la colline vers lequel je peux me diriger pour accéder à la plaine, en contrebas, de l’autre côté de l’obstacle, où de grands champs me tendent les bras. Puis, lors du quatrième décollage, il me prévient qu'il va me faire le coup de la panne ! Alors que l’avion franchit tout juste la colline, il tire subitement la manette des gaz en arrière, et mon DR400 se métamorphose en planeur. (Un planeur qui, si je ne fais rien, va rapidement tomber telle une brique !)
Il m’indique alors de pousser immédiatement le manche en avant pour reprendre rapidement de la vitesse, et de simuler un début d’approche sur un grand champ dont l’herbe grasse nous invite à la rejoindre. Je suis surpris de la rapidité d’action requise pour se sauver la peau, mais ça me fait une excellente leçon que je ne dois absolument pas oublier, et que nous ne manquerons pas de reproduire à l’avenir ! Heureusement, l'atterrissage en campagne sera pour une autre fois, et Michel remet rapidement plein gaz. Notre moteur reprend alors ses ronronnements rassurants, et nous ramène vers les cieux, où je dois poursuivre mes évolutions.
Aujourd’hui, je me sens plutôt à l’aise. Mes approches par le Sud se passent bien, et grâce au conseil de Michel qui me désigne une éolienne à viser pour m’aligner en vent arrière, tout me parait plus facile. Bien pratiques ces éoliennes ! En plus d’aider à confirmer d’un simple coup d’œil le sens du vent (puisqu'elles s'orientent toujours face à lui), on peut utiliser comme repère visuel tantôt celle plus à droite, tantôt celle plus à gauche, pour compenser la dérive lorsque le vent de travers vient nous pousser de coté. Simple, et efficace !
Michel en profite pour tenter de me déstabiliser en me posant des questions, en discutant l’air de rien, pour voir si je suis capable d’appliquer les procédures, malgré la distraction. Décidément, il aime m’en faire voir de toutes les couleurs aujourd’hui, mais j’avoue que l'exercice est formateur, et je me prends au jeu ! Il me corrige toutefois lorsqu’il me voit sortir les volets en vent arrière avec un peu trop d’empressement : “Tu as bien regardé le badin ?” Il me rappelle alors de toujours annoncer à voix haute : “Arc blanc, volet 1” avant de sortir mon premier cran de volet. Ainsi, même si le geste est machinal, cette phrase me rappelle systématiquement de jeter un œil à mon badin, sur lequel est tracé un arc blanc qui m’indique la plage de vitesse à laquelle je peux sortir les volets sans danger. Tant que nous sommes en dessous de 170 km/h, tout va bien !
(Silencieux sur l'échappement du Novembre Delta pour réduire les nuisances sonores)
Autre aspect auquel mon instructeur me sensibilise : la nuisance sonore ! En effet, l’axe de piste est tourné en plein sur le village tout proche de La Cavalerie, et dans une moindre mesure sur le village de l'Hospitalet du Larzac. Il faut donc s’efforcer autant que possible de les esquiver, afin d’éviter le survol direct lorsque c'est possible. Et tout cela en prenant garde à ne pas pénétrer dans le champ de tir de la base militaire du Camp du Larzac, dont le survol est interdit la plupart du temps. Depuis 2016, il abrite en effet la 13e DB de la Légion Étrangère, qui s’exerce parfois au tir de mortier, dont les obus ne feraient qu’une bouchée de notre brave DR400 !
Malgré tout, mes approches sont plutôt bonnes aujourd’hui, en dépit d’un vent du Sud qui gagne en puissance et qui prend une légère composante de travers, qui nous pousse de côté en finale. C’est un véritable plaisir de faire chaque nouveau tour de piste avec une autonomie grandissante, y compris à la radio, qui devient de plus en plus fluide. Même si j’oublie parfois de préciser exactement mes intentions ! Comme me l’indique Michel, je dois systématiquement rappeler, à chaque étape, si je compte effectuer un “touché” (remise des gaz et décollage, aussitôt le sol touché) ou un “complet” (atterrissage normal) .
Ainsi, lorsque je m’aligne parallèle à l’axe de piste en phase de vent arrière, j’annonce à la radio :
- “Millau de Fox Novembre Delta, en début de vent arrière pour un touché 14”
Et lorsque je tourne en base, perpendiculaire à la piste, je dois à nouveau préciser mes intentions :
- “Millau de ND, en étape de base pour un touché 14”
Et rebelote en finale, lorsque je m’aligne avec l’axe de piste, face au vent :
- “Millau de ND, finale pour un touché 14”.
Les gestes, aussi, deviennent progressivement plus intuitifs. Même ce fichu levier de volets qu’il faut tirer fort en finale pour sortir le deuxième cran, me parait un peu plus docile. Cela dit, même si je suis loin de casser l’avion, je loupe quasi systématiquement mes arrondis ! C’est normal, me direz vous, je débute… Mais malgré 4, puis 5, puis 6 atterrissages, je trouve que je touche toujours trop fort, et mon appareil n’en fait parfois qu’à sa tête. Il faut dire que lors de cette phase délicate de l'arrondi : ce moment où l'on vient adoucir notre plan de descente pour effleurer la piste et "caresser" (en théorie) l'asphalte de nos roues, la moindre erreur est aussitôt récompensée par un (léger) tassement de vertèbres. Mon père, qui bricole ce jour-là sur son avion, et qui observe mes évolutions du coin de l'œil, doit se dire que j’use un peu trop fortement les pneus de ce pauvre DR400 !
Il faut dire que le vent me joue des tours, il a bien gagné en intensité, et nous ballote en tous sens pendant l’approche. Puis, parfois, au moment de l’arrondi, une rafale vient nous cueillir subitement par le travers, soulevant une aile sans crier gare ; ou au contraire, le vent s’abat parfois sans prévenir, et seule une prompte réaction au niveau des gaz évite un touché un peu trop dur ! Pas facile certes, mais au moins, c’est formateur !
“C’est pas grave”, me dit Michel, lors de l’ultime et sixième atterrissage de la journée, “au moins tu sais que tu peux le poser sans le casser ! Mais maintenant il va falloir apprendre à assouplir tout ça !"
Débriefing :
Je ressors rayonnant de ce troisième vol, malgré quelques grosses gouttes de sueur sur le front ! Il faut dire que nous avons volé longtemps, 01 h 17 minutes !
En effet, Michel a repris les commandes pendant 2 tours de piste supplémentaires afin de s’exercer un petit peu en vue de la prorogation de sa qualification d’instructeur. Même si je ne pilotais pas, j’ai pu le suivre aux commandes et apprendre quelques astuces. Michel me félicite pour mes bonnes approches aujourd’hui, mais malgré tout, je reste conscient de mes lacunes. Il va falloir bosser ces arrondis, et pas qu’un peu !