Vol N°2 : 21 Avril 2024
Si vous avez déjà assisté à un meeting aérien, alors vous avez probablement déjà observé ce que l'on appelle un décrochage ! Les pilotes de voltige aiment jouer aux limites de leurs machines, faisant mine de dégringoler du ciel, en enchaînant des cabrioles, vrilles et autres renversements, pour la beauté du spectacle. Dans le cadre de la formation de pilote privé, ce n'est toutefois pas pour le plaisir des yeux que nous pratiquons le décrochage, mais plutôt par sécurité. Il est crucial de connaître les gestes qui permettent de sortir de ces situations périlleuses, afin d'éviter de tomber du ciel, involontairement cette fois, et dans un appareil qui n'est clairement pas fait pour ça !
Comme nous avons bien avancé dès le premier vol, mon instructeur me propose pour ce second vol d'aller faire des exercices de décrochages, dans un premier temps en ligne droite, puis en virage.
Mais tout d'abord, le décrochage, c'est quoi ?
Dans des conditions de vol "normales", l'écoulement de l'air contre l'aile s'effectue de manière fluide, sans perturbation : on parle d'écoulement laminaire.
On dit également que les filets d'air "collent" au profil de l'aile, ce qui favorise la portance, cette force qui nous permet de voler.
Pour schématiser grossièrement : le profil de l'aile accélère le flux d'air, notamment sur l'extrados : la partie supérieure de celle-ci. Ce gain de vitesse génère une dépression, qui "aspire" l'aile vers le haut : une force que l'on appelle la portance. L'avion est alors capable de voler !
Nous avions vu dans le premier vol, qu'en augmentant l'incidence (l'angle entre le flux d'air et le profil de l'aile) on pouvait gagner de la portance et s'élever dans les airs.
C'est pourquoi, en tirant sur le manche, l'avion "monte".
Mais il y a une limite !
Si on tire trop fortement, arrive un moment où l'incidence atteint une valeur critique. Le flux d'air se "décolle" de l'aile, des vortex se forment, et l'air devient turbulent.
On dit alors que l'avion "décroche", l'aile ne génère plus de portance et l'avion tombe !
Ce n'est pas un problème en altitude, avec suffisamment de hauteur pour permettre de rattraper l'avion. Mais ça peut se révéler fatal à l'atterrissage, notamment lors du dernier virage pour s'aligner avec la piste, qui s'effectue à vitesse lente et à proximité du sol. Il est donc crucial pendant la formation de pilote, et même après le brevet, de faire des exercices de vol lent, pour simuler ces phases d'approches délicates, et de s'entraîner au décrochage pour développer les réflexes qui sauvent. Rassurez-vous, on ne fait pas ça près du sol, et encore moins au-dessus de l'aérodrome !
Mais avant de décoller, il me faut vous raconter ma petite gaffe, réalisée non pas dans le ciel, mais sur le plancher des vaches !
Comme ce n'est que mon second vol, et que j'ai encore du mal avec la sensibilité du palonnier pour manœuvrer l'avion au sol, Michel me propose de faire un aller-retour complet sur la piste, où je peux m'exercer à faire des virages au sol, en zigzaguant entre les marquages de la piste. Comme il n'y a pas de trafic à Millau ce matin-là, ça ne dérange personne. Cette fois, il me dit de faire des petits virages à une allure plus vive, pour simuler le comportement de l'avion au sol, pendant le décollage ou l'atterrissage. Ça se passe plutôt bien, et je commence peu à peu à prendre confiance.
Puis nous voilà arrivé à la "raquette", cette section en bout de piste qui nous sert à faire demi-tour, il me faut ralentir. Je roule encore assez vite, je n'ai pas complètement coupé les gaz, et je n'appuie pas suffisamment vers le haut des pédales, ce qui fait que mon freinage n'est pas du tout efficace ! Mon instructeur, un peu trop confiant en mes capacités, ne réagit pas de suite, et quand finalement j'arrive enfin à freiner correctement, l'avion s'arrête juste au bord du bitume, avec la roulette de nez qui chatouille les brins d'herbes. J'étais à deux doigts de la sortie de piste !
Comme nous n'avons pas de marche arrière, Michel est alors obligé de couper le moteur, de descendre de l'avion et de le pousser pour nous remettre sur le droit chemin. Pour ma part, je reste à ma place avec le casque sur les oreilles, pour assurer la sécurité à la radio, et je ne fais vraiment pas le fier ! Malgré ces émotions, nous voilà repartis dans l'autre sens, et lors du prochain demi-tour pour nous aligner avant le décollage, j'ai cette fois bien retenu ma leçon : réduire complètement les gaz, et bien appuyer sur le haut de la pédale pour freiner.
Pour ce second vol, Michel m'annonce que c'est à moi de faire le décollage. Il me rappelle les incantations magiques à énoncer à voix haute pendant cette phase cruciale, afin de s'assurer que notre brave Robin soit dans de bonnes dispositions pour déployer ses ailes, et nous emmener dans les cieux. Je m'applique donc, du mieux que je peux : je pousse la manette des gaz à fond en avant et j'appuie simultanément sur la pédale de droite pour empêcher mon avion de partir sur la gauche. En effet, lorsqu'on met plein gaz, le souffle hélicoïdal de l'hélice, qui tourbillonne autour du fuselage, vient pousser sur la dérive à l'arrière de l'appareil, faisant ainsi pivoter l'avion vers la gauche. Si on n'agit pas rapidement sur le palonnier à l'opposé, c'est la sortie de piste assurée !
En même temps, je jette un coup d'œil à mon compte-tour (ou tachymètre) : l'aiguille monte jusqu'à atteindre 2400 tours/minute. J'énonce alors : "La puissance est disponible", pour bien souligner que le moteur développe la puissance nécessaire à un décollage en toute sécurité. Ensuite, à mesure que l'avion prend de la vitesse, la gouverne de direction à l'arrière de l'appareil devient de plus en plus efficace, et il faut alors relâcher progressivement la pression sur le palonnier droit, au risque de partir... sur la droite cette fois !
Alors que l'avion accélère, l'aiguille du "badin" (l'anémomètre) commence à s'agiter, puis à grimper. J'énonce alors "Badin actif !", pour confirmer son bon fonctionnement, puisqu'au roulage à basse vitesse, contrairement à une voiture, l'aiguille indique zéro ! Un dernier coup d'œil au panneau d'alarme situé en haut du tableau de bord, rien n'est allumé, j'énonce alors : "Pas d'alarmes, je continue" ! Et alors que l'aiguille du badin approche les 110 km/h, j'amorce la rotation. Autrement dit, je tire doucement sur le manche pour faire décoller mon avion.
Pour ce premier essai, je suis assez surpris. L'avion résiste. Il s'agrippe au sol tel un Gecko sur un mur. Alors, il faut un peu insister. Mais pas trop ! Le dosage sur le manche est fin, plus de l'ordre du millimètre que du centimètre. Et à peine décollé, il faut immédiatement mettre du pied à droite, pour conserver un vol symétrique, tout en veillant à ne pas trop tirer sur le manche. Pas si évident !
Ensuite, on survole pendant quelques secondes la piste quasiment à l'horizontale, à quelques mètres de haut, et on laisse l'avion prendre de la vitesse sans le contraindre. C'est ce qu'on appelle faire un palier. Puis, dès que la vitesse de montée initiale est atteinte (pour nous, 130 km/h), on peut enfin tirer sur le manche de manière plus prononcée et grimper vers les nuages à 800 pieds par minute.
Pour ce second vol, j'ai toujours un peu l'impression d'être dépassé par les événements. Je vole "derrière" l'avion, plutôt que "devant". Autrement dit, je subis, au lieu d'anticiper ses mouvements. Ce n'est pas une solution d'avenir pour un pilote breveté, mais pour un élève qui débute, c'est parfaitement normal ! Et nous voilà parti pour faire des exercices de vol lent au-dessus de la vallée où s'écoule tranquillement le Cernon, en contrebas.
Nous montons jusqu'à 4500 pieds, au-dessus d'une zone non habitée, et Michel me fait faire un premier virage à 360° pour nous assurer que la zone est libre, et que nous pouvons faire nos exercices en toute sécurité. On s'assure ensuite qu'il n'y a pas d'objets libres dans la cabine, et on resserre nos ceintures, juste au cas où ! Notez qu'un exercice de décrochage ne peut pas être réalisé avec des passagers en place arrière. On allume également les phares : pour être bien visible ! Et on enclenche la pompe à essence électrique, ainsi que le réchauffage carburateur, par ce qu'on va complètement réduire les gaz et secouer un petit peu l'avion. Mieux vaut donc se prémunir de tout problème potentiel avec le moteur !
Pour simuler un décrochage, les ailes à plat, Michel me demande de réduire complètement les gaz. Notre vitesse diminue donc progressivement, et la portance avec elle. Pour éviter de perdre de l'altitude, je dois donc tirer sur le manche, pour augmenter l'incidence. Doucement au début, puis de plus en plus fort à mesure que la vitesse diminue. On est alors de plus en plus cabré vers le ciel, et l'aiguille du badin commence à descendre dangereusement bas. Mais ce bon vieux robin ne décroche toujours pas !
Puis, des signes avant-coureurs apparaissent : les commandes deviennent molles, imprécises, le vent contre la carlingue fait un bruit particulier, puis de légères vibrations apparaissent tandis que retentit le "Bip bip" strident de l'avertisseur de décrochage. J'applique alors les gestes indiqués par mon instructeur au cours du briefing : le manche en avant pour diminuer l'incidence, en plaçant le capot moteur sous l'horizon pour reprendre de la vitesse, puis je remets les gaz à fond progressivement, et seulement après, je peux effectuer une ressource souple en tirant doucement sur le manche pour regagner de l'altitude. Pour ce premier essai, j'ai tout de même perdu 600 pieds en quelques secondes à peine ! J'ai un peu trop rendu la main après le décrochage, dans l'idéal on peut faire cette manœuvre en ne perdant que 400 pieds.
Alors je recommence, après être remonté à l'altitude de sécurité, bien sûr ! Et cette fois Michel me demande de tirer plus franchement, d'attendre que l'avion décroche complètement avant de le récupérer. À nouveau, j'entends l'alarme de décrochage qui retentit, mais je continue de tirer sur le manche. Les vibrations deviennent plus fortes, l'avion trépigne alors que le flux d'air se décolle de ses ailes (ce que l'on appelle le "buffetting"). Puis, sans que je ne fasse rien, le Robin abandonne, et il pique de lui-même vers le sol, vaincu par la gravité : c'est ce que l'on appelle "une abattée". Sauf qu'en plus de décrocher, cette fois il décide tout seul de partir sur l'aile gauche. Michel m'indique aussitôt de mettre du palonnier à l'opposé, sur la droite, pour le remettre dans l'axe.
C'est un peu contre-intuitif lorsqu'on n'a pas l'habitude de piloter. Alors que l'avion pique vers le sol, il ne faut surtout pas lutter en tirant sur le manche. Il faut au contraire le suivre, le laisser reprendre de la vitesse et se réconcilier avec la portance. Et s'il part d'un coté, par exemple sur la gauche, il ne faut surtout pas mettre du manche vers la droite, à l'opposé du virage. À une si faible vitesse, le braquage des ailerons n'aurait qu'un seul effet : faire décrocher l'aile gauche en premier, et nous précipiter dans une vrille.
Voici ce que donne une vrille à gauche (volontaire) sur un DR400 :
En France, l'exercice de vrille sur DR400 n'est pas autorisé. Rassurez-vous, vous n'aurez donc pas à passer dans le "Gerbotron" pour passer votre PPL ! Et croyez moi, pour avoir déjà fait 2 tours de vrille dans un planeur avec un instructeur, je n'aimerais pas être à la place de cet élève ! Cela dit, il est important de savoir se prémunir des vrilles, dans l'hypothèse (peu probable) où ça se produirait. C'est pourquoi Michel me demande ensuite de faire un exercice d'approche de décrochage en virage, pour simuler la partie la plus dangereuse de notre vol : le dernier virage à basse vitesse, avant la finale.
Cette fois, on se met en configuration de vol comme pour un atterrissage, avec les volets sorti. Les volets nous permettent d'augmenter la portance lors du vol lent, mais ils ajoutent également de la trainée (résistance de l'air au déplacement de l'avion), ce qui nous ralentit. Lors d'un virage, l'aile intérieure au virage aura tendance à décrocher plus tôt que l'aile extérieure, car sa vitesse est inférieure (elle parcourt moins de distance pendant le même laps de temps.). Le risque est alors de partir en vrille dans le même sens que le virage, mais puisque c'est interdit, nous allons simplement nous "approcher" du décrochage en virage, sans aller jusqu'au bout.
Ainsi, Michel me demande de faire un léger virage vers la gauche, puis de réduire les gaz et de tirer sur le manche pour conserver mon altitude, quasiment jusqu'à ce que l'avion décroche. L'alarme retentit toujours en avance, avant même que l'aile ne décroche, du coup dès que j'entends son cri d'alerte, il me suffit simplement de remettre les ailes à plat, stopper immédiatement mon virage, et d'augmenter progressivement la puissance à fond. L'alarme s'arrête aussitôt, et je ne perds même pas la moindre altitude. C'est tout simple, et ça peut sauver la vie ! Après tout, mieux vaut rater son approche, perdre 10 minutes à refaire un tour de circuit, que de partir en vrille à 500 pieds sol, où la ressource n'est absolument pas garantie.
De retour vers le terrain, Michel me demande comment je me sens après ces exercices riches en émotions ! Il m'indique que parfois des élèves ont un peu peur au début, ils n'osent pas piquer vers le sol pour sortir de décrochage. Pour ma part, j'ai trouvé ça particulièrement amusant et formateur, ça ne m'aurait pas dérangé d'en faire plus ! Pour finir la leçon, Michel me fait faire 4 tours de piste en me guidant pendant toute l'approche et au cours de l'atterrissage. Pour l'atterrissage, c'est pas encore ça, mais après tout ce n'est que mon second vol ! Par contre, mes approches s'améliorent à chaque nouvelle tentative, et je me sens déjà plus en confiance que la première fois.
Pour résumé, le DR400 est un avion docile, dans lequel on se sent en sécurité. Il faut vraiment insister pour réussir à le faire décrocher, et l'avertisseur de décrochage nous prévient très tôt. Il n'y a aucune abattée franche, rien de violent, et la ressource s'effectue très facilement. Si bien qu'en appliquant ces procédures simples, mais cruciales, dès que l'alarme retentit, ou que le décrochage se fait sentir, on est assuré de rester en sécurité. Voilà une leçon de vol que je ne suis pas prêt d'oublier !