Vol N°5, 19 Mai 2024 :
J'arrive à l'aérodrome ce matin-là avec une détermination renouvelée : celle de conjurer mes démons, et de venir enfin à bout de ces satanés arrondis. Mon dernier vol ne s'est pas très bien passé, mais il a été riche en enseignement. Après avoir passé ces derniers jours à ruminer les souvenirs de toutes ces tentatives d'atterrissages "ratés", j'ai désormais une vision plus claire de ce que je dois améliorer :
- Tout d'abord, soigner au maximum mon approche.
En particulier, la descente au cours de l'étape de base, juste avant le dernier virage pour m'aligner face à la piste. La dernière fois, je suis systématiquement arrivé en finale trop haut. Il faut donc vraiment que je m'applique, pour conserver une vitesse d'approche stable, à 150 km/h, et un taux de descente à 400-500 pieds/minute. Pendant cette phase, je sais que je dois afficher environ 1800 tours/minute, mais il ne faut pas que j'hésite à ajuster la puissance, ainsi que mon assiette, pour obtenir les bons paramètres sur mes instruments.
- Puis, je dois apprendre à "lâcher prise" au moment de l'arrondi.
Je pense que j'ai tendance à "surpiloter", autrement dit, à me prendre un peu trop la tête pour rien. J'effectue des corrections trop fortes, voire inutiles, à l'approche de l'arrondi. Je ne trouve jamais le bon dosage, soit j'arrondis trop haut, soit j'arrondis trop bas. Alors qu'en faisant un peu plus confiance en ma machine, avec des corrections plus maîtrisées, il y a probablement moyen de réussir à trouver enfin l'équilibre idéal. Comme dirait mon grand-père : "Fiches lui la paix à cet avion, il a pas besoin toi pour voler !"
Ainsi, lorsque je prends place à bord du DR400 ce jour-là, je dois bien admettre qu'il y a au fond de moi cette peur de l'échec, cette crainte de renouveler les erreurs de la dernière fois. Mais je m'efforce de ne pas prêter attention à cette petite voix dans mon crâne, qui me souffle que, peut-être, je ne suis pas à la hauteur. Heureusement, cette part de doute est compensée par une furieuse envie de réussir, par ce goût du challenge qui me caractérise parfois, et qui me pousse à ne jamais baisser les bras. Je ne suis pas franchement un compétiteur, je me fiche pas mal d'arriver le premier, ou d'être le meilleur. En revanche, je n'aime pas perdre face à moi-même, face à mes démons intérieurs. Je suis déterminé à relever le défi, à me prouver que je suis capable de poser cet avion en douceur, et à en faire mon compagnon de vol.
Mon instructeur m'emmène à nouveau pour une séance de tours de piste, avec le vent qui souffle doucement depuis le Sud. On va donc décoller et se poser sur l'extrémité 14 de la piste, celle que je préfère. Ne me demandez pas pourquoi ce côté me plaît plus, c'est purement psychologique. En réalité, poser l'avion de ce côté n'est pas plus simple, ou plus difficile. Tout est dans la tête ! Mais l'aspect psychologique en aviation est loin d'être négligeable.
Après avoir décollé sans encombre, je me présente en vent arrière 14, à 3 800 pieds, en suivant une trajectoire parallèle à la piste, le vent dans le dos. Je prépare mon avion comme à l'accoutumée, et alors que j'arrive au moment de virer vers la droite, en étape de base, je sens le stress qui commence à monter. Voilà l'instant de vérité, je ne dois surtout pas "foirer" ma descente. Je réduis les gaz autour de 1800 tours/minute en suivant une trajectoire perpendiculaire à l'axe de la piste, en direction de la base militaire du Larzac. En même temps, je pousse sur le manche pour afficher la bonne assiette, et je compense mon avion pour qu'il poursuive sa descente à 500 pieds/minute. Un coup d'œil au badin : 160 km/h, trop vite, je réduis encore un peu les gaz jusqu'à obtenir 150 km/h. Voilà, là, c'est bien. Je me parle à moi-même, plus que je ne parle à mon instructeur. Mais d'une certaine façon, c'est sa voix, ses conseils, répétés à chaque séance, qui parlent à travers moi. Michel me laisse faire, pour le moment il ne dit rien.
Alors que sur ma droite, j'aperçois d'un bref regard les remparts du village de La Cavalerie, j'amorce mon dernier virage pour me présenter en finale 14. Regard attentif au badin, pas en dessous de 150 km/h, c'est bon. Je jette un œil à la bille, elle est centrée, tout va bien. Nous voilà en finale, aligné dans l'axe de la piste, je sors tous les volets. Non seulement cela me permet d'augmenter ma vitesse de décrochage, et donc de voler à vitesse réduite avec plus de sécurité, mais en plus, cela aide à ralentir l'avion. Un œil vers le badin, 140 km/h, trop vite, je réduis un peu les gaz. Un regard à l'extérieur vers mon point d'aboutissement, au-delà du seuil de piste, l'alignement est bon, la pente à l'air bonne aussi. Retour au badin : 130 km/h, le vent est léger aujourd'hui, encore un chouilla trop vite. Je tire légèrement sur le manche pour ralentir un peu plus, l'aiguille descend vers 125 km/h, on est pas trop mal, même si 120, ce serait mieux. Je regarde à nouveau mon point d'aboutissement sur la piste, rien ne bouge, tout va bien.
"Pense au gradient de vent", me dit Michel. Je regarde mon badin, la vitesse indiquée commence à chuter, je remets un peu de gaz pour compenser. À mesure que nous approchons du sol, la force du vent de face diminue à cause des frottements sur le sol, c'est ce qu'on appelle le "gradient de vent". Il faut donc compenser petit à petit en rajoutant de la puissance.
Puis, nous voilà presque au seuil de piste, à une dizaine de mètres du plancher des vaches. "Jusqu'au bout", me dit Michel, je l'écoute et conserve de la puissance moteur ainsi qu'une trajectoire stable le plus longtemps possible, jusqu'à survoler la piste à quelques mètres à peine. Je réduis progressivement les gaz jusqu'à les couper totalement, et en même temps, je tire sur le manche doucement pour effectuer mon arrondi. La piste est toute proche, et il serait tentant de se poser au plus vite, mais non, il faut attendre, tirer sur le manche, refuser le sol. "Encore, encore, retiens le". Je m'exécute, j'empêche mon avion de se poser, en tirant de plus en plus sur le manche. L'instant semble comme suspendu, le temps s'étirer de plus en plus, puis, avec une délicatesse que je n'imaginais même pas possible, les roues touchent le sol. Michel m'adresse un grand sourire et se met à m'applaudir. Je n'en crois pas mes oreilles. J'ai enfin réussi à dompter ma monture jusqu'au bout !
"Allez, c'est reparti", me dit Michel. Et alors que je redécolle, il ajoute que si je continue comme ça, la prochaine fois, je serai prêt pour le lâcher solo. L'éternel perfectionniste que je suis ne peut alors s'empêcher de répondre : "attends quand même de voir le prochain, c'était peut-être qu'un coup de bol !" Mais non, même si je n'arrive jamais à reproduire un atterrissage aussi doux que le premier, j'enchaîne 7 autres tours de piste, sans jamais rater mon arrondi. Tous ne sont pas parfaits, évidemment, je dois encore corriger certains détails, mais je n'en reviens pas de la différence avec le vol précédent. C'est comme si, à force de me repasser en boucle mon précédent vol dans la tête, j'avais entraîné mon cerveau à effectuer les bons gestes. Comme s'il lui avait simplement fallu un peu de temps pour intégrer toutes ces informations nouvelles.
Je peux faire plus d'atterrissages cette fois, car Michel me fait réaliser des tours de piste "basse hauteur". Il me demande de faire des circuits en restant beaucoup plus proche de l'aérodrome, à une altitude réduite par rapport à un tour de piste standard, afin de simuler une situation d'urgence. Par exemple suite à une panne à bord de l'avion qui nous forcerait à revenir nous poser au plus vite, ou à cause d'une météo moins bonne que prévue, avec des nuages bas en travers de notre route.
Ainsi, tantôt par la gauche, tantôt par la droite, il me fait faire des circuits rapprochés, à basse altitude, ce qui me force à improviser pour m'adapter à ces situations inhabituelles. Il faut parfois passer assez proche du relief, et des sapins, ce qui pourrait en refroidir plus d'un ! Pour ma part, je savoure ces tours de pistes : quel plaisir de sortir un peu des sentiers battus ! Puis, avec un instructeur à côté, je ne me sens pas du tout en insécurité.
Je ressors de cette séance avec un sourire jusqu'aux oreilles, un sentiment que je n'avais pas vécu depuis mon premier vol, un mois plus tôt. Je profite de l'instant présent, sans pour autant me faire d'illusions. Je sais qu'apprendre à piloter, c'est parfois des hauts et des bas. Rien ne garantit que tout se passera aussi bien lors de mon prochain vol, mais quoi qu'il en soit, je serai prêt à relever le défi.